En déplacement dans la Sarthe, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a annoncé, vendredi 8 février, un plan de soutien triennal à la filière apicole. Celle-ci en a bien besoin. Le nombre d'apiculteurs français a chuté de près de 40 % au cours de la dernière décennie.

Mais M. Le Foll aurait pu se soucier aussi des abeilles. Car, sans elles, pas d'apiculture. Le ministre de l'agriculture aurait pu saisir cette occasion pour se pencher sur les insecticides néonicotinoïdes, de plus en plus soupçonnés d'être la cause majeure du déclin des abeilles. Il l'avait fait en juin 2012, en interdisant l'un de ces produits sur le colza. Hélas ! Les annonces du ministre ne comportent pas de nouvelles mesures d'interdiction.

Retirer à l'ensemble des néonicotinoïdes leurs autorisations de mise sur le marché ne relèverait ni d'une application maximaliste du principe de précaution ni d'une lubie écologiste. Cette nouvelle classe d'insecticides est d'une foudroyante efficacité. Ses représentants – Cruiser, Gaucho, Poncho, etc. – ont été déployés dès le milieu des années 1990 et sont principalement utilisés en enrobage des semences sur les grandes cultures. Le principe est simple : la plante s'imprègne du produit et devient toxique pour les insectes, tout au long de sa croissance.

Le déploiement de cette technologie de protection des plantes s'est accompagné d'une forte accélération du déclin des insectes pollinisateurs. Or, depuis plus de dix ans, de nombreuses études, menées en laboratoire, montrent une variété d'effets toxiques inattendus, attribuables aux néonicoti-noïdes : désorientation des insectes, perte des fonctions cognitives, synergie avec des pathogènes naturels, etc. Certains de ces effets se manifestent à des expositions de l'ordre d'une fraction de milliardième de gramme.

Le phénomène est mondial et massif, comme l'utilisation de ces produits phytosanitaires, qui s'est répandue dans plus d'une centaine de pays. Ces insectes sont, selon l'expression même de M. Le Foll, "indispensables à la vie végétale". Ils sont également indispensables à la production d'un tiers de notre nourriture.

L'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a fini par reconnaître, au printemps 2012, que les tests réglementaires qui ont conduit à l'homologation de ces molécules ne permettaient pas d'en évaluer les risques.

Ces nouveaux produits sont en effet très différents de ceux qui sont appliqués épisodiquement sur les cultures : ils les imprègnent, certes à faible dose, mais en permanence et sur des millions d'hectares... L'Autorité européenne de sécurité des aliments vient aussi de reconnaître, avec un retard considérable, que ces produits présentaient un risque pour les abeilles...

En conséquence, la Commission européenne propose de suspendre, pendant une durée de deux ans, trois de ces molécules controversées, sur certaines cultures. Cette proposition, à laquelle s'en remet Stéphane Le Foll, n'est pas conforme à l'état des connaissances. Ces produits persistent plusieurs années dans l'environnement, et leur propagation est connue de manière très imparfaite. Avant d'annoncer un plan d'aide à la filière apicole, il aurait fallu, de toute urgence, avoir le courage d'interdire ceux qui demeurent autorisés.

Extrait Éditorial du "Monde"