Nous ne savons de notre âme que, ce que sait
De la mer un enfant , qui joue avec la vague !
Il suit au loin, dans la brume qui les élague,
Les vaisseaux que tantôt leur ombre devançait.

Nous ne savons de notre âme que la pointe de l'iceberg
Enormes blocs de glace nés dans la préhistoire
Dont la masse sournoise causa le désespoir
De ceux qui n'ont rien vu, du haut de la grande vergue !

Ah ! plonger dans la mer, savoir tout de l'abîme :
Les monstres, les coraux, tant de trésors sombrés !
Et les zones du fond, vertes comme des prés.
Ce qu'on voyait de la surface, est si minime !               

Et plonger dans notre âme : elle est un gouffre aussi !
Pour voir les rêves nus, le combat des pensées,
Et les projets qui sont des perles nuancées,
Tout le Moi sous-marin dans le cerveau transi.

Pour le plongeur de l'âme, y a-t-il une cloche ?
Ah Oui ! Descendre au fond de son propre destin,
Savoir ce qui se passe en cette mer sans fin,
Et démêler tout ce varech qui s'effiloche ! 

Mais cette vie en profondeur nous l'ignorons,
Ne voyant de notre âme - que l'eau de la surface
Comme l'eau de mer qu'un enfant dans le sable transvase,
Croyant vider la mer... de ses petites mains rondes !

Les vies encloses - Georges Rodenbach (1855-1898)
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