– […] Etudier l'histoire m'a permis de prendre conscience d'un trait fondamental chez les humains : tout ce qu'ils ont accompli de plus grand, de plus fort, dans le positif comme dans le négatif, ils l'ont fait parce qu'ils croyaient en quelque chose. Je suis convaincu qu'il est impossible de tenter de comprendre l'histoire si nous ne tenons pas compte des rêves et des espoirs de ceux qui l'écrivent. On dit souvent que la foi soulève des montagnes. Je serais tenté d'ajouter qu'à mon sens, il n'y a qu'elle qui en soit capable. Qu'elle naisse pour un dieu, pour une idée ou une vision, la foi n'est pas une circonstance. Elle constitue le plus puissant des moteurs. L'approche de Fanny n'en est cependant pas moins bonne pour autant. Elle est complémentaire de la mienne. Sa façon d'appréhender les choses a souvent été un gage d'objectivité. Fidèle à cette logique, Fanny a toujours perçu l'alchimie au prisme des analyses officielles que la science moderne s'est efforcée d'imposer : une folie ésotérique, un bricolage chimico-mystique réduit à des images simplistes. Ses détracteurs avaient tout intérêt à dénigrer l'Ars Magna et ils ont réussi. Leurs descendants règnent aujourd'hui en maîtres.
– Vous y croyez donc ?
– En alchimie, croire ne sert à rien, car il s'agit d'abord de chercher. Dans sa grande vanité, l'homme se prétend capable de tout comprendre et rejette ce qui lui échappe. C'est ainsi que l'alchimie s'est vue reléguée au rang de délire occulte servi par des fous ou des charlatans qui ne rêvaient que de vie éternelle ou de fortune magique issue de plomb changé en or. J'ai pourtant du mal à croire qu'à travers les siècles, d'innombrables puissants et des visionnaires aient tant donné, tant sacrifié pour des chimères. Depuis qu'il est capable de penser, l'homme s'est toujours interrogé sur l'univers et la place qu'il occupe. Les premières civilisations ont observé tout ce qui était à leur portée, puis expérimenté pour tenter de reproduire et de maîtriser. Leurs découvertes se sont toujours accompagnées de l'idée que ce monde ne pouvait être que l'oeuvre d'un architecte supérieur. Chaque civilisation en son temps a tenté de personnifier ce créateur et de le nommer.la compréhension des arcanes de la vie ne pouvait alors se faire qu'en se soumettant aux règles imposées par celui ou ceux qui nous avaient créés, quels qu'ils soient.
Depuis les toutes premières civilisations et pendant des millénaires, l'idée d'élever l'homme en lui donnant le pouvoir sur la nature s'envisageait dans le respect de l'Esprit qui nous a offert la vie. Le savoir et la spiritualité étaient alors indissociables. Le progrès devait naître dans l'harmonie. L'alchimie marque l'aboutissement de cette philosophie, de ces savoirs accumulés en Asie, au Moyen-Orient, au cours des siècles, par des penseurs et des chercheurs qui l'ont conduite à son apogée en Europe, où elle sera ensuite si décriée. L'alchimie ne pousse pas ses initiés à se prendre pour Dieu, mais à chercher de façon pure le moyen d'utiliser l'éventail des possibles pour repousser nos limites. Cela passe par la découverte de lois naturelles qui nous échappent. La pierre philosophale symbolise la quête d'une vie éternelle qui nous permettrait de conjurer notre condition de mortels en nous donnant le temps d'acquérir assez de savoir. Transmuter le plomb en or, c'est partir du « vulgaire » pour l'élever vers le meilleur. Seuls les médiocres qui ont voulu anéantir une approche qui les dépassait ont pris ces images au pied de la lettre. Ils ont méprisé l'alchimie, l'ont renvoyée au rang de folklore ésotérique – ils sont même parvenus un temps à la rendre suspecte et diabolique.
Peu à peu, ces nouveaux adeptes de la science ont délaissé le spirituel pour ne plus se concentrer que sur le matériel. Certains hommes ont ainsi fini par se croire plus forts quela nature et par se prendre pour des dieux capables de commander aux éléments. Ces apprentis sorciers modernes ont traité ceux qui les remettaient en cause de magiciens sataniques. Le professeur Wheelan avait une théorie très intéressante sur ce point : il expliquait qu'après des décennies de dérives progressives, tout s'était joué lors de la révolution industrielle, lorsque la soif de profit avait pris le dessus sur tout autre idéal. Il nous répétait souvent : "La spiritualité et sa fille, la moralité, ont été assassinées par l'orgueil et son fils, l'appât du gain."
– Vous le pensez aussi ?
– Comme tous ses étudiants, il m'a influencé, c'est certain. Mais comme vous, je m'efforce d'utiliser les informations que je détiens selon ce que je crois. L'alchimie est une voie séduisante vers la connaissance. La façon dont elle a été pratiquée porte en elle-même les limites des époques et de ceux qui s'en sont emparés. Pourtant, malgré toutes les formes qu'elle a pu prendre et ce que l'on a pu en dire, l'alchimie reste sans doute la forme d'élévation la plus exigeante pour celui qui prétend approcher les secrets de la matière. Ce n'est pas de la magie. Ce n'est pas une religion. Elle permet d'associer ce que nous avons appris depuis des millénaires au plus pur de notre conscience.
– Le sujet me fascine, murmura Karen. Ça me remue et je veux y croire.
– L'Art Royal fait souvent cet effet-là à ceux qui le découvrent.
– Je regrette d'autant plus que cette démarche ne puisse pas trouver sa place dans le monde d'aujourd'hui.
– Détrompez-vous, Karen. Vous touchez au cœur du problème. On nous matraque qu'aucun autre système que celui qui est en place ne serait bon pour nous. On nous fait croire que les vraies idées et les remises en cause mettent en péril notre petit confort quotidien. Partout, on nous abreuve de sujets futiles qui nous accaparent au point de nous faire oublier l'essentiel. On déforme notre nature jusqu'à menacer nos vies. La rue dont vous vous sentez responsable n'existe que parce que des femmes et des hommes ont pu s'approprier les lois naturelles sans les trahir. Le savoir le plus simple, utilisé avec humanité, constituera toujours notre meilleure chance de survie. Aucune leçon n'est plus puissante que celle puisée dans la nature. Qu'on le veuille ou non, l'esprit de l'alchimie est partout et ses fruits sont éternels. Aucun des apprentis sorciers avides de nous vendre leurs prétendues prouesses ne pourra surpasser le plus humble des potiers, qui en mélangeant la glaise et l'eau, puis en exposant le tout au feu, obtient un résultat capable de résister à l'eau comme au feu.
Extrait du roman Le Premier Miracle, de Gilles Legardinier (2016) – Flammarion, p131 à 134
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