« Vous croyez au nombre, base sur laquelle vous asseyez l'édifice des sciences que vous appelez exactes. Sans le nombre, plus de mathématiques. Eh bien, quel être mystérieux, à qui serait accordée la faculté de vivre toujours, pourrait achever de prononcer, et dans quel langage assez prompt dirait-il le nombre qui contiendrait les nombres infinis dont l'existence vous est démontrée par votre pensée ? Demandez-le au plus beau des génies humains, il serait assis mille ans au bord d'une table, la tête entre ses mains, que vous répondrait-il ? Vous ne savez ni où le nombre commence, ni où il s'arrête, ni quand il finira. Ici, vous l'appelez le temps ; là, vous l'appelez l'espace rien n'existe que par lui , sans lui, tout serait une seule et même substance, car lui seul différencie et qualifie. Le nombre est à votre esprit ce qu'il est à la matière, un agent incompréhensible : est-ce un être ? est-ce un souffle émané de Dieu pour organiser l'univers matériel où rien n'obtient sa forme que par la Divisibilité, qui est un effet du nombre ? Les plus petites comme les plus immenses créations ne se distinguent-elles pas entre elles par leurs quantités, par leurs qualités, par leurs dimensions, par leurs forces, tous attributs enfantés par le nombre ? L'infini des nombres est un fait prouvé pour votre esprit, dont aucune preuve ne peut être donnée matériellement. Le mathématicien vous dira que l'infini des nombres existe et ne se démontre pas. Dieu est un nombre doué de mouvement, qui se sent et ne se démontre pas. Comme l'Unité, il commence des nombres avec lesquels il n'a rien de commun. L'existence du nombre dépend de l'unité qui, sans être un nombre, les engendre tous. Dieu est une magnifique unité qui n'a rien de commun avec ses créations, et qui néanmoins les engendre. Pourquoi, si vous croyez au nombre, niez-vous Dieu ? La création n'est-elle pas placée entre l'infini des substances inorganisées et l'infini des sphères divines, comme l'unité, se trouve entre l'infini des fractions que vous nommez depuis peu les décimales, et l'infini des nombres que vous nommez les entiers ?
Vous seuls sur la terre comprenez le nombre, cette première marche du péristyle qui nous mène à Dieu, et déjà votre raison y trébuche. Eh quoi ! vous ne pouvez ni mesurer la première abstraction que Dieu vous a livrée, ni la saisir, et vous voulez soumettre à votre mesure les fins de Dieu ? Que serait-ce donc si je vous plongeais dans les abîmes du mouvement, cette force qui organise le nombre ? Que serait ce si j'ajoutais que le mouvement et le nombre sont engendrés par la parole. Ce mot, la suprême raison des voyants et des prophètes qui jadis entendirent ce souffle de Dieu sous lequel tomba saint Paul, vous vous en moquez, vous, hommes de qui cependant toutes les oeuvres visibles, les sociétés, les monuments, les actes, les passions procèdent de votre faible parole, et qui, sans le langage, ressembleriez à cette espèce si voisine du nègre, à l'homme de bois... Vous croyez donc fermement au nombre et au mouvement, force et résultat inexplicables., incompréhensibles ?... Poursuivons. Nous vous êtes approprié une place dans l'infini du nombre, vous l'avez accommodée à votre taille en créant, si toutefois vous pouvez créer quelque chose, l'arithmétique, base sur laquelle, repose tout, même vos sociétés.
De même que le nombre, la seule chose à laquelle ont cru vos soi-disant athées, organise les créations physiques, de même l'arithmétique, emploi du nombre, organise le monde, moral. Cette numération devrait être absolue, comme tout ce qui est vrai en soi ; mais elle est purement relative, elle n'existe pas absolument ; vous ne pouvez donner aucune preuve de sa réalité. D'abord, si cette numération est habile à chiffrer les substances organisées, elle est impuissante relativement aux forces organisantes, les unes étant finies, et les autres étant infinies. L'homme, qui conçoit l'Infini par son intelligence, ne saurait le manier dans son entier , sans quoi, il serait Dieu. Votre numération, appliquée aux choses finies et non à l'infini, est donc vraie par rapport aux détails que vous percevez, mais fausse par rapport à l'ensemble que vous ne percevez point... ainsi vous ne rencontrez nulle part, dans la nature, deux objets identiques ; dans l'ordre naturel, deux et deux ne peuvent donc jamais faire quatre, car il faudrait assembler des unités exactement pareilles, et vous savez qu'il est impossible de trouver deux feuilles semblables sur un même arbre, ni deux sujets semblables dans la même espèce d'arbres. Cet axiome de votre numération, faux dans la nature visible, est également faux dans l'univers invisible de vos abstractions, où la même variété a lieu dans vos idées, (lui sont les choses du monde visible, mais étendues par leurs rapports : ainsi, les différences sont encore plus tranchées là que partout ailleurs. En effet, tout y étant relatif au tempérament, à la force, aux mœurs, aux habitudes des individus qui ne se ressemblent jamais entre eux, les moindres objets y représentent des sentiments personnels. Assurément, si l'homme a pu créer des unités, n'est-ce pas en donnant un poids et un titre égal à des morceaux d'or ? Eh bien, vous pouvez ajouter le ducat du pauvre au ducat du riche, et vous dire au Trésor public que ce sont deux quantités égales ; mais, aux yeux du penseur, l'un est certes moralement plus considérable que l'autre ; l'un représente un mois de bonheur, l'autre représente le plus éphémère caprice. Deux et deux ne font donc quatre que par une abstraction fausse et monstrueuse. La fraction n'existe pas non plus dans la nature, où ce que vous nommez un fragment est une chose finie en soi... Le nombre, avec ses infiniment petits et ses totalités infinies, est donc une puissance dont une faible partie vous est connue, et dont la portée vous échappe. Vous vous êtes construit une chaumière dans l'infini des nombres, vous l'avez ornée d'hiéroglyphes savamment rangés et peints, et vous avez crié : Tout est là. »
Honoré De Balzac, Séraphita.
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