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Le graal, Jean Markale

Le graal, Jean Markale

Le graal, tout le monde en parle, mais personne ne sait ce que c’est. Et pourtant, tout le monde le cherche, tout le monde se précipite à corps perdu dans une « quête » du graal, qu’il soit saint, ou qu’il soit profane, purement symbolique d’un but lointain que chaque existant humain sent confusément à sa portée, quelles que soient les difficultés rencontrées dans cette aventure dans laquelle il s’engage aveuglément sans même en connaître ni la causalité ni la finalité. « Chercher son graal » devient aussi commun, aussi banal, que « porter sa croix » comme le répètent les chrétiens les plus sincères.

Il faut constater que le mot graal, et ses nombreuses variantes médiévales, a connu une notoriété hors du commun et qui, se prolongeant à travers les siècles, atteint, au début du XIe siècle, une sorte d’apothéose dans un vocabulaire presque quotidien, mais qui n’en est pas moins confusionnel. Car ce terme graal n’est ni plus ni moins qu’une des graphies d’un terme languedocien du XIIe siècle, gradal ou cratale (mot qui est féminin), évolué en grazal à l’époque contemporaine, et qui provient d’un latin cratalis, lui-même hérité d’un radical indo-européen qui a donné le grec krater, et qui signifie simplement « récipient ». Le graal n’est donc en réalité qu’un simple « réceptacle », un « récipient » qui contient tout ce qu’on veut bien y mettre. Et Dieu sait qu’on y a mis tout ce qu’on voulait !... Depuis le sang du Christ, jusqu’aux secrets de l’énergie nucléaire, le contenu du graal, qu’il soit « saint » ou « profane » n’a pas cessé, à défaut de satisfaire les appétits des convives admis à sa table, d’alimenter l’imaginaire de tous ceux qui se sont emparés de cet objet symbolique et de les conduire aux pires perversions, aux pires aberrations qui se puissent concevoir dans un esprit humain.

Car le « saint » graal a souvent pris des colorations qu’on peut qualifier de « sulfureuses ». En passant par la secte des Illuminés de Bavière, par cette autre secte, beaucoup plus dangereuse de la « Sainte-Vehme », par George Sand qui n’est pas seulement l’auteur de romans champêtres mais la disciple des « Supérieurs inconnus », par Richard Wagner, l’antisémite forcené, et son Parsifal, parfait modèle d’une ambivalence aux odeurs malsaines, par la théosophie de la fin du XIXe siècle, générée par des Anglo-Saxons, par Bram Stoker, membre de la Golden Dawn (« l’Aube dorée »), cette société dite « philosophique », mais plutôt douteuse, et son admirable roman Dracula (qui n’est pas seulement le fruit de son imagination), par différents auteurs privilégiant de mythe de l’ Agartha et de la ville souterraine de Shamballa, par la Société du Vril, par la Société Thulé, on aboutit au nazisme pur et dur, racial et sanguinaire, quand Hitler et surtout Himmler voulaient faire des membres de la sinistre SS les nouveaux templiers gardiens du saint graal et de la pureté de la race nordique. Et que dire des retombées actuelles sur la petite bourgade de Rennes-le-Château, dans l’Aude, laquelle recèle, à travers des suppositions et des approximations invérifiables, bien des mystères non élucidés, mais qui sont probablement au centre d’un des plus grands scandales de la tradition occidentale ?

Car cette tradition occidentale a été trahie au cours des siècles. On a tronqué les documents qui auraient permis de retrouver les sources vives de cette tradition. Or, pour des raisons diverses, aussi bien religieuses que politiques ou économiques, une mémoire ancestrale a été occultée, altérée ou détruite, de toute façon détournée au profit des idéologies dominantes, qui n’étaient pas toujours en accord entre elles, mais qui se rejoignaient sur l’essentiel : camoufler une réalité historique afin de ne pas mettre en péril des institutions qui maintenaient la société dans une « bonne » direction, c’est-à-dire dans le « ce qui va de soi ». Mais attention !... Ce n’est pas une raison pour tomber dans un autre piège, celui que tendent actuellement des intellectuels et des affabulateurs de tous bords qui prétendent, sans aucune preuve, restituer une vérité absolue qui n’est, en définitive, qu’une suite de rêveries sur des sujets qui concernent l’humanité dans son ensemble.

Mais quel qu’il soit et sous quelque forme qu’il apparaisse ou quelle que soit la signification dont on le charge, le graal constitue incontestablement l’une des plus grandes énigmes enregistrées dans la mémoire de l’humanité, et ce seul fait mérite qu’on entreprenne une étude en profondeur des tenants et aboutissants, non seulement des épopées anciennes qui ont choisi ce graal comme emblème central de leurs spéculations, mais des prolongements et des débordements que cette image grandiose (et toujours entrevue à travers des brouillards plus ou moins opaques) a pu susciter au fil des temps, aussi bien chez des chercheurs de bonne foi que chez certains personnages hantés par l’existence de secrets permettant l’obtention de pouvoirs extraordinaires, pour ne pas dire surhumains.

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A la base de tout cela, il y a un postulat fondamental : à l’aube de l’humanité, en cet illo tempore mythique, quand il y avait communication entre le Créateur et la créature, le message divin était compréhensible pour l’existant humain, mais après la Chute due au « péché originel », ce message n’est plus accessible à l’intelligence, sauf chez certains élus qui disposeraient d’un « code d’accès » symbolisé par ce fameux graal. Tel est le sens profond, et même la justification, de ce graal et de sa quête. C’est alors que se superposent trois traditions apparemment très différentes, qui se sont amalgamées pour former cette synthèse harmonieuse qu’est la légende du saint graal. La première tradition est gnostique et elle s’est développée à Alexandrie pendant la période hellénistique. Elle est à la base de toute une théologie nettement sulfureuse selon laquelle le Yahvé hébraïque est un usurpateur : il a en effet pris la première place, en tant que créateur et démiurge, de la Pistis Sophia, c’est-à-dire la « Mère universelle », la « Vierge des Vierges », la « Sagesse maternelle », autrement dit la « déesse des Commencements », celle que Gustave Courbet dans son fameux et scandaleux tableau L’Origine du monde a dépeint sans visage mais avec des seins, un ventre et un sexe parfaitement éloquents. Et cette tradition d’insister sur l’émeraude que portait sur son front l’archange Lucifer, le « Porte-Lumière », émeraude tombée au Paradis terrestre et qui deviendra plus tard le « saint » graal, contenant ce qu’il y a de plus précieux au monde, le sang du Dieu incarné, l’énergie divine dans sa plus haute essence et dans sa plus troublante expression.

La deuxième tradition est incontestablement chrétienne, néanmoins elle se réfère à des textes dits apocryphes, rejetés par l’Eglise officielle, mais « cachés » au sens étymologique, c’est-à-dire « secrets ». Elle entre dans la problématique du temps, lorsque les théologiens de l’Eglise romaine discutaient de la consubstantiation et de la transsubstantiation, vers les années 1200, et que se développait, notamment à Bruges et à Fécamp, le culte du « Précieux Sang ». Et c’est alors qu’apparaît le rôle prépondérant de l’écrivain Chrétien de Troyes, le premier à avoir cité le mot « graal », lequel a écrit son Conte du graal sur commande de Philippe d’Alsace, comte de Flandre, petit-fils de Thierry d’Alsace qui avait rapporté de Terre sainte une ampoule contenant soi-disant le sang du Christ, recueilli à la descente de Croix par Joseph d’Arimathie. A partir de ce moment, le thème du saint graal est devenu l’un des éléments les plus important de l’Eglise romaine en faveur de l’eucharistie et de la pratique de la communion fréquente.

Jean Markale

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