La Crûme est bien, je crois la plus capricieuse de nos petites rivières vendéennes. C’est vers Chambretaud qu’elle prend sa source et elle vient se jeter dans la Sèvre-Nantaise à Tiffauges, derrière les ruines du château de Gilles de Retz, le seigneur à la barbe bleue. Elle fait mille détours en chemin, tantôt coulant de large et molle façon au milieu de grasses prairies qu’elle enserre ou sillonne en tous sens, tantôt se glissant, étroite et timide, entre deux coteaux abrupts, couverts de ronces, de fougères et de rares pousses de genêts aux fleurs d’or. De grands chênes, de hauts peupliers, des « vorgnes » la bordent et ombragent ses eaux. L’été, elle offre de nombreux gués, et, en deux pas est franchie aisément.
Dans sa marche irrégulière et lente, de Chambretaud vers Tiffauges, la Crûme s’approche des Landes-Genusson. A deux kilomètres de ce bourg, ou peut-être un peu plus, elle passe au pied d’un coteau escarpé sur le flanc duquel est une pierre énorme dont une partie – les deux tiers environ – repose sur un rocher plat, à demi recouvert d’une mince couche de terre et de mousse, et dont l’autre partie menaçante, surplombe la vallée. Des bords de la rivière qu’elle domine, cette pierre effraye le regard, et une peur vous saisit qu’elle ne roule dans l’abîme. En s’accrochant aux tiges des genêts, si l’on grimpe jusqu’à elle on voit l’immense roche immobile, et semblant défier tout effort humain. Le dessus, presque plat, porte comme l’empreinte d’une croix, et, dans son milieu, une petite tache rouge qui jamais n’a pu être enlevée. Le plan s’incline brusquement, et, de telle sorte qu’un homme, étendu sur la pierre, glisserait dans le vide à la plus légère poussée. Or voici la légende de cette pierre de Chasseloup, telle qu’un ami me la dite, adossé contre la roche, et telle que les vieux paysans landais la content aux petits enfants, dans les fermes d’alentours.
Il y a longtemps, bien longtemps. Dans la Gaule païenne étaient arrivés les saints de Provence : Lazare, Marthe et Madeleine, Pierre avait envoyé Martial à Limoges. Nos ancêtres quittaient leurs dieux mortels pour aller vers le Christ immortel. Hilaire de Poitiers et Martin de Tours prêchaient dans le Poitou la religion nouvelle. Et cependant, dans un coin ignoré de Vendée dans les Landes, auprès de Chasseloup, vivait un dernier prêtre du culte antique, le dernier druide de Teutatès. Une caverne, recouverte maintenant par les éboulements successifs, lui servait d’habitation : une population à demi sauvage venait lui demander ses enseignements.
A chaque lune nouvelle, le druide réunissait les adorateurs de Teutatès autour de la pierre de Chasseloup et offrait un sacrifice humain à sa divinité. La victime était immolée sur la pierre, autel du dieu, puis les eaux de la Crûme emportaient le cadavre. Parmi les disciples du dieu gaulois, les plus fervents tenaient à honneur d’être égorgés par le couteau du sacrificateur et de jeunes garçons et des jeunes filles se présentaient souvent en holocauste volontaire.
Mais le christianisme envahissait même la terre des Landes. Déjà les porteurs de la bonne nouvelle étaient apparus et les barbares, touchés de Dieu, croyaient à leur parole. Bientôt le druide fut abandonné, et bientôt les victimes manquèrent pour les sacrifices à Teutatès. Des loups pris au piège, puis des oiseaux de proie, et des tout petits oiseaux, victimes indignes, furent immolés. Le druide vieilli se lamentait, il implorait son dieu, et son dieu sourd et impuissant n’entendait et n’exhaussait point ses prières.
Quelques années passèrent, et autour de l’autel, le désert complet s’était fait, les animaux sauvages, eux- mêmes, traqués de toute façon, avait fui.
Un soir enfin, au milieu de l’hiver, alors qu’un blanc tapis de neige couvrait la vallée de la Crûme, le druide perçut le faible son d’une cloche dans la direction des Landes. C’était Noël, un disciple de Pierre appelait ainsi les pauvres habitants du pays pour célébrer devant eux la première messe des Landes. Le prêtre de Teutatès comprit ce signal ; il voulut y répondre. Par trois fois, il lança son cri dans la nuit, et par trois fois les échos lui renvoyèrent son cri seul.
Au loin, joyeusement la cloche tintait…
Debout sur la roche, le druide dit à son dieu cette prière : « Ô divin Teutatès, seul de tous tes disciples je suis demeuré fidèle. Je n’ai plus de victime à t’offrir, je te donne mon sang ! » et stoïque il enfonça dans sa poitrine son large couteau de sacrifice. Le ciel était bleu, et cependant soudain la foudre éclata. Tout près, un chêne fut frappé et l’on montre encore l’arbre à demi brûlé que les plus vieux des paysans ont toujours vu ainsi, le tronc largement ouvert. Un souffle passa, et le corps du druide roula dans l’abîme. Il ne restait plus rien du dernier représentant d’un culte disparu. Une goutte de sang, seule, avait jailli. Tombée sur la pierre elle s’y était comme attachée, la tache avait pénétré le granit et des siècles ont passé sans l’effacer jamais.
Et dans le « pagus » des Landes, la cloche tintait toujours. Et, les nouveaux chrétiens accouraient adorer le Dieu-Enfant, l’Emmanuel divin…
Depuis cette époque, tous les ans, quand la cloche appelle les fidèles à la messe de minuit, la pierre de Chasseloup descend dans la Crûme pour laver sa tache de sang. Mais le souvenir du dernier druide de Vendée ne doit pas disparaître. Aussi toujours les eaux s’écartent et laissent intacte la marque sanglante. Voilà ce que content les vieilles grand-mères à leurs petits-enfants, aux longues veillées d’hiver, dans les fermes voisines de Chasseloup, pendant que sur la Crûme le vent, frappant les chênes, se glisse sifflant entre les fines découpures de leur feuillage et qu’à son souffle doucement bruissent les feuilles plus larges des peupliers.
L’étoile de la Vendée du 19 septembre 1897 - Colon
When you subscribe to the blog, we will send you an e-mail when there are new updates on the site so you wouldn't miss them.
En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies tiers destinés à vous proposer des vidéos, des boutons de partage, des remontées de contenus de plateformes sociales. En savoir plus
Ce site utilise des cookies pour assurer son bon fonctionnement et ne peuvent pas être désactivés de nos systèmes. Nous ne les utilisons pas à des fins publicitaires. Si ces cookies sont bloqués, certaines parties du site ne pourront pas fonctionner.
Ce site utilise des cookies de mesure et d’analyse d’audience, tels que Google Analytics et Google Ads, afin d’évaluer et d’améliorer notre site internet.
Ce site utilise des composants tiers, tels que NotAllowedScript674f603292539ReCAPTCHA, Google NotAllowedScript674f603292321Maps, MailChimp ou Calameo, qui peuvent déposer des cookies sur votre machine. Si vous décider de bloquer un composant, le contenu ne s’affichera pas
Des plug-ins de réseaux sociaux et de vidéos, qui exploitent des cookies, sont présents sur ce site web. Ils permettent d’améliorer la convivialité et la promotion du site grâce à différentes interactions sociales.
Ce site web utilise un certain nombre de cookies pour gérer, par exemple, les sessions utilisateurs.
Commentaires 1
Ha le château de Gille de Retz Tiffauges et la sèvre Niortaise, sa me rappel mes études a Niort Tiffauges c'est un superbe endroit en Vendée.
Vive la Vendée, j'ai de super souvenir là bas. Merci beaucoup pour ce sujet.
J'adore les légendes et les contes de fées populaires.