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Aspects modernes de l'occultisme : le Tantra

Aspects modernes de l'occultisme : le Tantra
A mesure que notre siècle avance, le matérialisme perd de son prestige, tant il se montre incapable de résoudre les problèmes les plus pressants de l'humanité. Face à cette situation, l'homme contemporain a porté son regard, une fois encore, vers le passé, surtout vers les Mystères occultes des temps anciens, espérant y trouver quelque réponse à ses angoisses.

 

Mais le problème n'est pas réglé pour autant. Les énigmes de l'Antiquité agissent comme des armes à double tranchant : d'un côté elles fascinent par le charme de l'inconnu et leur caractère de possible panacée universelle et, d'un autre côté, certains de ces mystères, déjà obscurs dans l'Antiquité, le sont beaucoup plus encore de nos jours où le manque de Maîtres véritables accentue les dangers de l'ignorance.

 

Face aux questions essentielles : "Qui suis-je ?", "D'où viens-je ?", "Où vais-je ?", resurgit un ésotérisme ancestral qui essaie de pénétrer les principes les plus profonds du monde. Mais l'ésotérisme d'aujourd'hui doit affronter d'âpres difficultés. Il n'y a plus d'écoles initiatiques et tous ceux qui s'intitulent "grands maîtres" ne le sont pas de façon authentique. Le culte exagéré de la matière a fait que l'homme s'est peu à peu animalisé et qu'il lui est désormais très difficile de faire abstraction de ses passions. Il a, au contraire, besoin de les justifier en leur donnant un vernis de sublime.

 

Nous voulons précisément aborder un thème en plein essor dans l'actualité et qui, surtout, a pénétré dans la mentalité de centaines de jeunes, spécialement en Europe, entraînant bien des conflits en eux-mêmes. C'est le cas du Tantra, ou tantrisme, ou yoga tantrique, ou bouddhisme tantrique, ou bouddhisme tibétain, ou bouddhisme vajrayâna, ou certains autres noms ni toujours appropriés, ni vraiment heureux, pour désigner une aberration contemporaine n'ayant rien à voir avec les doctrines originelles qui lui ont servi de prétexte.

 

Des concepts anciens et élaborés, aujourd'hui mal interprétés, ont donné lieu à une "nouvelle doctrine tantrique" où, selon les endroits, les moments, les auteurs et le manque de connaissances, apparaît une conception particulière du monde, de l'homme, et de ses possibilités de réalisation. Nous visons ici un ancien concept ésotérique qui mérite d'être retrouvé après la perte de contenu à laquelle il a été soumis.

 

UN PEU D'HISTOIRE

environ 400 ans après la mort physique du bouddha Siddhârtha Gautama, ses adeptes et disciples se réunirent en plusieurs conciles desquels naquirent d'une part, la division du bouddhisme et, d'autre part, la présentation des différentes formes bouddhistes.

 

Comme on le sait maintenant, A partir de là, le Hînayâna, ou Petit Véhicule, s'attacha strictement à la doctrine morale situant la libération au niveau d'individus triés sur le volet. Sa formule consista à affirmer qu'il se référait strictement à ce que Bouddha avait dit.

 

L'école Mahâyâna ou Grand Véhicule, ajouta à la tradition ésotérique (doctrine de l'OEil, selon H. P. Blavatsky), une autre tradition ésotérique (doctrine du Coeur), qui aurait été révélée par Bouddha lui-même à ses disciples les plus proches.

 

Une troisième école ou Véhicule, Vajrayâna, se fonde sur "le Coeur de Diamant". Elle représente peut-être la racine la plus archaïque de la philosophie ésotérique, celle qui était reconnue comme "philosophie bouddhique", antérieure à Bouddha lui-même, et relative aux connaissances qui sont apparentées à l'intuition naturelle du principe bouddhique présent dans tous les êtres.

 

Le symbole fondamental du Véhicule de Diamant était le Vajra (canne, diamant ou sceptre), de là vient la dénomination de Vajrayâna pour cette forme mystique particulière. D'après ce qu'explique Blavatsky, dans le bouddhisme mystique, le Vajra est le sceptre magique des prêtres initiés, c'est le symbole de la possession des pouvoirs surhumains appelés siddhis, c'est aussi le symbole du pouvoir du Bouddha particulièrement pour arrêter les mauvais esprits ou les esprits élémentaux.Vajra signifie aussi "foudre", "diamant", "arme" (le sceptre d'Indra ou la foudre de Zeus), "éclair", et quand on parle de l'Ame-Diamant, il s'agit du Bouddha suprême qui est au-dessus de toutes les manifestations avatariques : c'est le "Seigneur des Mystères".

 

Le Vajrayâna, rendant son mérite au vieux berceau de la philosophie bouddhique, va prédominer au Tibet et en Mongolie mais, là aussi, hors des temples et des secrets initiatiques, il finira par s'enraciner sous des aspects populaires et superstitieux. Étant donné que l'objectif du Vajrayâna consistait en la libération grâce aux formules et aux pratiques magiques (tantra : "pratique"), l'action proposée originellement comme moyen de libération fut ensuite réinterprétée comme une énergie cosmique qui, en se déversant sur l'homme, s'exprimait dans ses fonctions ésotériques.

 

Ainsi, sous le nom générique de tantrisme, un "nouvel esprit" s'infiltra peu à peu tant dans l'hindouisme que dans le bouddhisme à partir des VIIIe et IXe siècles et parvint à détourner le sens originel des croyances, des rites et des pratiques antérieures.

 

En Inde, dans les dernières décennies du XIXe siècle, le juge du Tribunal suprême de Calcutta, sir John Woodroffe, connu sous le pseudonyme d'Arthur Avalon, expliqua et justifia la jouissance charnelle comme un élément des pratiques tantriques, bien que la différenciant du plaisir des animaux.

 

D'après ce que nous dit Blavatsky, Tantra peut se traduire littéralement par "règle" ou "rituel". C'est ce rituel pratique qui délivre l'homme du fond de sa personnalité pour le rendre à la réalité de son esprit. Mais on appelle aussi Tantras certains ouvrages mystiques et magiques "dont la particularité majeure est le culte rendu à la puissance féminine personnifiée en Sakti. On appelle Devi ou Durga l'énergie particulière rattachée aux rites sexuels et pouvoirs magiques ..." (Glossaire théosophique, H. P. Blavatsky)

 

En fonction des thèmes qu'ils renferment et selon la façon de les envisager, ces ouvrages peuvent se diviser en textes de magie blanche, noire ou seulement grise... "les Tantras contiennent tout ce qui concerne la magie, le côté occulte de l'homme et de la nature, les moyens en vertu desquels on peut faire des découvertes, les principes au moyen desquels l'homme peut se créer lui-même" (Glossaire théosophique). Mais il en résulte que ces ouvrages, surtout dans leur mise en pratique, sont extrêmement dangereux si on n'a pas un Maître à ses côtés. Les dangers, comme dans tout ouvrage ésotérique, résident dans le langage symbolique ; ainsi, on utilise souvent pour désigner un centre astral ou mental le nom d'un organe qui, évidemment, peut être mis en rapport avec l'organe en question, mais les deux ne sont pas identiques. Blavatsky explique qu'aucun Maître véritable ne permettrait à son disciple de travailler sur ses organes corporels avant d'avoir purifié soigneusement son corps physique et avant d'avoir acquis la maîtrise de ses corps supérieurs.

 

Ces dangers furent mis en évidence au Tibet même, quand les dougpas se sont appropriés le symbole du vajra lui-même (dorje en tibétain), dans leurs envoûtements et leurs mauvais usages de magie noire, tandis que les guélougpas ou "bonnets jaunes" l'ont interprété convenablement comme signe de Pouvoir.

 

La réalisation tantrique, ou pratique du Véhicule de Diamant, tendait à canaliser tous les éléments de la vie, bons ou mauvais, spirituels et physiques, vers le but de la libération. Il s'agissait de ne pas se laisser prendre à l'illusion du monde matériel ; il ne fallait pas non plus le redouter, mais utiliser ses énergies comme une des nombreuses marches conduisant à la libération. Il s'agissait du Sentier du Pouvoir, de la domination du bien et du mal, de la transmutation de toutes les circonstances en armes, grâce au pouvoir du mental. En méditant cette doctrine, il est facile de comprendre que des dégénérescences ultérieures ont essayé de transformer le sexe en arme de pouvoir, en l'exaltant, alors qu'avant on cherchait à se libérer de cela-même.

 

Un autre des éléments perdus et mal interprétés au sujet du Vajrayâna était la création de formes mentales permettant d'entrer en contact avec des entités puissantes et d'atteindre ces états supérieurs de conscience où la dualité n'existe plus. Le mandala était la base de ces visualisations : un carré ou un cercle magique où apparaissent différentes déités symbolisant le schéma confus de l'univers. La "réalité" de ces déités se manifestait à mesure que l'adepte avançait vers son but, brisant la limite qui sépare les êtres symboliques des véritables dieux.

 

Que reste-t-il de ces enseignements ? Comment s'expriment-ils aujourd'hui ?

 

LE TANTRA AUJOURD'HUI

A l'heure actuelle, une abondante littérature renaît, à l'origine de laquelle nous pouvons discerner aussi bien des chercheurs sérieux qui tentent de retrouver le meilleur du passé, que des farceurs de toutes sortes qui ont utilisé de vieilles idées afin de dominer et d'annuler la personnalité humaine malmenée. Naturellement, c'est surtout la seconde catégorie qui nous préoccupe, en tant que nouvelle voie de magie noire susceptible de déchaîner la folie individuelle et même collective, consécutive à la sottise consistant à interpréter faussement les enseignements des véritables Maîtres de l'humanité.

 

Nous tenterons d'exposer quelques-unes des idées dominantes, soit sur le plan d'une philosophie mal dirigée, soit sur le plan des aberrations qui affectent plus particulièrement la jeunesse.

 

Certains essaient de définir le Tantra comme la culture d'une extase qui doit amener à la vision de la sexualité cosmique ; on obtient cette extase par des modes de vie particuliers, des rituels, de la magie philosophique, des mythes, des signes et des symboles remplis de charge émotive.

 

Bien qu'apparemment, les idées circulent à l'intérieur de l'enceinte traditionnelle tantrique, on accentue exagérément certaines nuances. L'extase ne se dirige plus vers la rupture des liens matériels ni vers la libération de la dualité pour retourner à l'Unité première ; même si on ne rejette pas ces valeurs, elles demeurent opaques devant l'énorme prépondérance qu'acquiert la "sexualité cosmique" en tant qu'explication de base de toute manifestation de l'Univers.

 

Dans toutes les philosophies mystiques, on essaie de ne pas se laisser prendre à l'illusion du monde manifesté. Chaque philosophie proposera des formules plus ou moins semblables pour échapper à l'illusion : parfois il faut l'affronter et lutter contre elle ; d'autres fois, il suffit de la reconnaître en tant que telle. Le tantrisme primitif lui-même proposait d'utiliser l'illusion comme arme, de ne pas fuir devant elle et de livrer bataille pour arriver à la libération.

 

Beaucoup de ces idées ont dégénéré. L'ancien concept de "fuir l'illusion" s'est transformé en une théorie de personnes morbides et refoulées redoutant ce monde qu'elles tentent de dominer. D'autre part, le principe d'utiliser ses propres défauts comme armes s'est transformé en une acceptation de toutes les caractéristiques - bonnes ou mauvaises - de la vie et de la personnalité, sans plus.

 

De là, et devant la difficulté de se séparer du monde, le Tantra actuel parle de rester dans le monde, de ne pas lutter contre l'illusion, d'accepter le plaisir et l'extase et de les cultiver, et même de cultiver son corps.

 

Rien de ceci n'est original. Toutes les écoles mystiques ont accepté l'extase... mais peut-être cette autre extase est-elle d'un type moins spirituel ? Bouddha lui-même accepta l'existence du plaisir, mais comme contrepartie inévitable de la douleur. Prendre soin de son corps est le devoir de tout bon philosophe, étant donné la merveille qu'est ce véhicule d'expression qui nous a été octroyé pour le mettre au service d'autres principes humains, plus élevés.

 

Aujourd'hui on relie le Tantra à l'amour, à un amour qui a forcément besoin d'un objet auquel se consacrer corps et âme.

 

De quel amour parle-t-on ? Si c'est de l'Amour Universel, en tant que force première de cohésion participant à la Création, il faudrait l'exprimer d'une manière plus claire, car visiblement les hommes préfèrent interpréter l'amour selon ce qu'eux-mêmes éprouvent au travers de leurs instincts.

 

Pour le moment, les hommes ont certainement besoin d'un objet sur lequel exprimer leur amour. Mais personne ne semble se rappeler que la finalité des anciens rites était d'intérioriser cet objet digne d'amour jusqu'à ne plus en avoir besoin comme appui externe. Aujourd'hui on court le risque de rester fixé sur l'objet d'amour, aujourd'hui on court le risque que la guerre se réduise à une vaine adoration des armes.

 

On insiste sur la pratique du Tantra, chose parfaitement logique même pour toutes les formes religieuses et philosophiques qui conduisent à la réalisation humaine.

 

Cependant, cet accent excessif mis sur la pratique finit par ôter de l'importance au mental et à ses possibilités. Nous savons que le mental n'est ni l'unique, ni le plus élevé des véhicules humains, mais nous ne pouvons oublier sa valeur pour donner une consistance et un ordre d'importance à ces mêmes pratiques qui, sinon, sombreraient dans la nébuleuse d'un psychisme peu structuré.

 

D'un autre côté, et tandis qu'on se débarrasse du mental, on recommande des méthodes qui ne sont pas du tout appropriées au contexte historique actuel. Pour obtenir le "bonheur" et la libération rapide comme fruit d'une seule vie (?), il y aurait besoin de méditation, d'une expérience ascétique (?), de magie, de drogues, d'action sociale (?)... Comment doit-on comprendre la magie et l'action sociale ? Comme étant aussi la base de l'énergie sexuelle ? En quoi consistent les expériences ascétiques qui donnent pour établi que c'est la voie sexuelle qui favorise le processus de libération ?

 

La valeur du sexe s'explique par le rapport d'égalité qui existerait entre la libido humaine et l'énergie créatrice de l'Univers. La théorie de "l'avarice sexuelle" consiste à ne pas "user" cette énergie dans des relations sexuelles normales mais à la contenir et à l'augmenter par la rétention de la semence à l'intérieur du corps, comme matérialisation de cette même énergie. Ce corps ainsi "chargé" étant un bon élément pour produire des effets surnaturels.

 

Pourquoi "égalité" et non "similitude" entre la libido humaine et l'énergie créatrice universelle ? Le terme "égalité" est inadéquat car il ne s'agit pas de quelque chose d'identique mais d'une même énergie qui, dans un cas, est allée vers le bas et s'est de plus en plus opacifiée au contact de la matière jusqu'à devenir souvent méconnaissable.

 

C'est peut-être ce point qui a produit le plus d'incongruités et qui a fini par être à la base de toutes les pratiques et de toute la magie tantrique actuellement en vogue - avec les désastres qui s'ensuivent - et par lesquels on espère ouvrir la porte tant rêvée du paradis.

 Délia Steinberg Guzmam

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